DÉTOUR SONORE DANS MOLENBEEK
Une balade sonore synchronisée dans l’architecture contemporaine d’un quartier en cours de revitalisation.
Ecrire sur Molenbeek
L’actualité a un peu rattrapé l’écriture de cet article sur le quartier de Molenbeek et les initiatives architecturales et publiques pour relancer l’une des communes les plus pauvres et densément peuplés de l’agglomération de Bruxelles. Ce week-end de Novembre 2015 est déjà tristement célèbre et c’est lors de la rédaction de cet article que j’entends parler du quartier de Molenbeek aux informations françaises, on y annonce des perquisitions ainsi que le séjour de certains des terroristes ayant perpétré les attaques sur Paris, précisément rue Ransfort dans laquelle j’ai visité la Fonderie. En effet le quartier est identifié depuis longtemps par les autorités belges et l’anti-terrorisme international comme un lieu de radicalisation et de ralliement des filières djihadistes, certains médias titrent en ce moment même “Molenbeek plaque-tournante des réseaux djihadistes”. C’est l’occasion pour moi de me rendre compte du rôle de l’architecture et de l’urbanisme dans ces problèmes de sociétés, ainsi que des efforts que produisent la commune et la ville de Bruxelles pour améliorer les conditions de vie et pour désenclaver un quartier, qui avec l’arrêt de l’activité industrielle ainsi qu’une forte pression migratoire n’a pas su se relever de ses anciennes gloires perdues. Il y a quelques semaines à travers cette balade, j’ai pu constater avant tout que le quartier de Molenbeek était un lieu de vie, plein de sourire et d’habitants optimistes, j’ ai aussi remarqué l’ importance de l’ action urbaine et publique qui depuis maintenant les années 2000 à travers les “contrats de quartiers durables” et malgré une réaction tardive et encore “légère”, s’engage auprès des citoyens pour sortir le quartier de cette étiquette de lieu de pauvreté et de radicalisation islamiste. L’essentialisation de cette commune qui voit son nom rattaché aux mouvances terroristes dans les médias ne lui rend pas honneur, c’est à mes yeux un lieu plein de richesses inexploitées, de diversité, d’ histoire, d’ architecture contemporaine et de culture qui voit son nom et ses habitants réduits à l’action de quelques-uns. C’est avant tout une commune qui héberge environ 100 000 Molenbeekois qui méritent l’occasion d’être fier de leur quartier. J’espère que la lecture de cet article vous donnera envie de vous y balader.
“Un d*tour dans l’architecture contemporaine”
Lors d’un passage de trois jours à Bruxelles, je pars à la recherche de conseil de visite sur internet. Je suis intrigué par un concept que je ne connais pas nommé “Détours, balades sonores synchronisées”. Il est classique de voir fleurir des audio-guides sur les centre-villes historiques mais celui-ci a deux particularités : il s’annonce comme une balade centrée sur l’architecture contemporaine et se fait à travers un quartier qui n’apparaît même pas sur mon guide vert… Annoncé comme une ballade accessible à tous, je m’en vais découvrir Molenbeek, dans l’intention de me faire une opinion sur la pertinence de l’expérience et la pédagogie déployé pour rendre l’architecture récente, celle du quotidien, attractive et communicable auprès de tous.
Un parcours qui commence au Walvis
“Avant de comprendre ce que ça peut bien vouloir dire, installez vous confortablement au Walvis, 202 rue Antoine Dansaert. Un “détour” n’est pas fait pour être écouté dans son salon, je vous attends donc au Walvis.”
J’appuie sur le bouton play de mon vieil iPod, on me conseille alors aux oreilles de rentrer dans le café Walvis (point de départ) pour écouter une brève introduction, il est 13h c’est le coup de feu. Je n’ai pas faim, commande un café au bar. Je me sens bizarre, seul, un peu autiste avec mes écouteurs sur les oreilles…
Le lieu est très branché, rempli de monde. La population est plutôt jeune, la cuisine, toute petite, se trouve dans l’îlot central et est donc ouverte aux regards. Une bonne odeur s’en dégage et la carte a l’air délicieuse. Plat du jour : Osso Bucco + Cresson / Soupe.
La décoration intérieure est très tendance, “indus/rétro” un peu “hipster”, les murs sont plaqués d’OSB, des vélos y sont pendus en guise de décoration. Au sol un beau parquet brun, le plafond est traversé de barres métalliques blanches et des luminaires réalisés dans des tubes de plomberie y sont accrochés. Le bar est un mélange d’un design Formica (bois mélaminé des années 50-60) avec ses lignes arrondies, bardé de tôle ondulée. L’ensemble de l’espace, à travers la blondeur du bois et la couleur jaune des ampoules à incandescence, est chaleureux et convivial. On ne peut pas parler ici d’un bar typique bruxellois, la carte des bières y est même plutôt maigre pour la Belgique, mais l’adresse est à conseiller. Mon audio-guide m’indique maintenant d’en sortir avant d’entamer la suite du parcours.
La traversée du canal
Carrefour de la porte de Flandre, lieu emblématique de la scission socio- économique de la ville. C’est ici que passe la petite ceinture de Bruxelles, un boulevard situé sur l’ancienne enceinte fortifiée datant du XIV siècle de la ville de Bruxelles, appelé communément le “Ring” (comme toute les voies périphériques en Belgique) ou le “Pentagone”. Je traverse donc pour la première fois le boulevard qui enserre le centre-ville de Bruxelles et me retrouve sur un pont au dessus du canal Bruxelles-Charleroi. Benois Moritz, fondateur de l’agence bruxelloise d’architecture et d’urbanisme : MSA, intervient dans mon podcast pour me raconter un petit projet d’aménagement urbain à côté duquel je serais sûrement passé sans son intervention dans mes oreilles. Un abribus le long du canal, ce projet d’espace public à 20 000€ est un auvent aux lignes minimalistes. C’est aussi un cadeau de la part de l’agence qui (avec l’aide d’un financement privé) sans commande a conçu, fabriqué et offert l’abribus aux habitants du quartier. Il vient discrètement s’accrocher au parapet du canal que l’on retrouve en contrebas. La sous-face en constitue le geste architectural et sa curiosité, celle-ci est revêtue d’une tôle polie qui grâce à un angle d’exactement 16° vient refléter l’eau et les péniches du canal. Les miroitements de l’eau se trouvent ainsi au dessus de la tête des passants, qui ne voit plus en temps normal le cours d’eau, la faute à un parapet légèrement en surplomb et à l’épaisseur d’un garde corps en pierre. La discrétion de l’intervention et sa capacité à révéler de manière poétique ce monument oublié de l’ histoire industrielle qu’ est le canal me rend admiratif du travail effectué.
Je finis de traverser le canal et apprends que le pont n’est flanqué de statue de lions que d’un seul côté, symbole de la fracture économique entre les deux quartiers respectivement flamand et wallon. En ce lieu et jusqu’à leurs démolition en 1783, se dressaient les deux tours circulaires de la Porte des Flandres qui marquaient une des principales entrées de la ville historique.
Les bruits de la rue : Chaussée de Gand
De l’autre côté du pont, je me trouve à l’entrée du quartier de Molenbeek- Saint-Jean. Je m’engage dans la chaussée de Gand, tandis que des habitants me parlent à l’oreille, leurs accents me font sourire et leurs témoignages semblent être calqué sur ma vision. Alors que je regarde une séries de vitrines vides dans une rue tout de même animée, j’entends une vieille dame :
“La chaussée de Gand au départ, ce n’était que des magasins de chaussures. Des gens qui venaient d’Anderlecht, de partout, à Molenbeek pour acheter leurs chaussures, parce que c’était une rue avec que des magasins de chaussures. Il y avait de tout, il y avait même un magasin qui ne vendait que des pantoufles. Et il y en avait beaucoup.”
Rue du Cheval Noir
Je découvre avec étonnement une réalisation architecturale que je connais déjà, une vieille référence de projet utilisé en première année qui m’avait marqué au détour d’ un site internet d’ actualité architecturale. Je ne m’attendais pas à la voir un jour, et ne me souvenais même plus que l’opération était localisée en Belgique. C’est une opération de rénovation et construction de 31 logements et ateliers d’artistes qui se trouve rue du Cheval Noir dans une ancienne brasserie. On découvre sur le portail le logo de la résidence : un oiseau et un cheval ombré, découpé (noir) dans une plaque métallique jaune. La réalisation est signée de deux agences L’Escaut et l’atelier Gigogne. Les architectes sont intégrés à la bande sonore qui m’accompagne et me content leur projet. Le projet a fait l’objet d’un concours dont le commanditaire et maître d’ouvrage est le fond du logement de Bruxelles-Capitale. Le budget (que je découvre à mon retour) est mince environ 1100€ du m2, c’est en s’appuyant sur la conservation d’un maximum des murs existants que les architectes ont tenté de déployer une architecture que l’on constate audacieuse et contemporaine pour un tel prix au mètre carré. Une réponse formelle à l’usine en brique pour illustrer un programme bien particulier et donner un peu de visibilité aux artistes implantés dans le quartier. Une forme abstraite, ciselée, de ginguois est rattachée à l’existant par des passerelles qui traversent la cour intérieure. De grandes baies vitrées sont taillées dans le nouveau et l’ancien volume. Un travail sur l’existant et la lumière : la vue depuis le portail traverse la petite cour et l’ancienne usine pour laisser apercevoir une place publique de l’autre côté. L’ensemble paraît ainsi aéré malgré la difficulté d’amener de la lumière entre deux immeubles montant respectivement à R+5 et R+6. Il est 14h, le soleil est haut, la lumière est donc relativement abondante, je ne peux donc pas juger de manière objective de la qualité de celle-ci tout au long de la journée, mais l’intention et l’articulation entre l’ancien et le nouveau pour apporter un maximum de lumière dans les étages bas est évidente. La finition paraît d’ici excellente, la façade de zinc gris clair mat et la peinture jaune dans les saillies donne un peu de “peps” à la rue dans laquelle je me trouve. Une rue du cheval noir un peu sombre qui ne dépasse pas les 5m de large, peu de recul donc et un portail qui m’empêchera d’en voir plus des espaces intérieurs (je me rattraperai en ligne plus tard).
Le discours est tout de même parfois un peu vide :
“On essaye de créer quelque chose dans une politique culturelle et écologique, la où la place de l’homme est centrale. Les formes sont à chaque fois diverses et spécifiques selon leur contexte et le processus qui a amené les architectes et le maître d’ouvrage en participation avec des collaborateurs. La contemporanéité se fait via le mélange de tous ces ingrédients.”
On aura pas forcément appris grand chose ici, mais l’effort pédagogique du podcast est à souligner qui à travers un montage précis intègre des définitions de notion architecturale que nous connaissons bien mais que le reste de la population n’utilise pas souvent, comme la volumétrie ou la forme, le programme, l’orientation, etc.
En continuant le parcours je retrouve l’arrière du bâtiment depuis la place Brunfaut, la façade en brique y est percée d’ouvertures circulaires, étonnantes mais discrètes.
Rue Fin, Habitat groupé passif et coloré
On ne parlera pas de certains projets par principe de concision, mais que ce soit les habitats groupés passifs et colorés de la rue Fin, l’opération rue de Verrept-Dekeyser ou les logements de l’agence B612 du “Jardin Urbain”, l’important n’est pas forcément la réalisation architecturale seule, mais les implications socio-économique qu’elles induisent et c’est à travers le témoignage de leurs architectes mêlé à des paroles habitantes que l’on découvre les efforts de revitalisation entrepris dans le quartier, le nom de l’opération rue Fin : “l’Espoir” en ai la première illustration. C’est via la visibilité de ces façades aux dessins contemporains que la puissance publique communique autant sa politique que ses intentions, les budgets sont souvent serrés et les réalisations n’ont pas toujours la qualité de finition de celle de la rue du Cheval Noir, mais elles ont le mérite d’exister, de remplacer des logements souvent insalubres et de se communiquer d’elles-mêmes auprès des habitants.
Rue Ransfort, la fonderie
“Sur votre droite, un portail et une grande grille, la Fonderie, devenue musée. Arrêtons nous un instant ! Si la grille est ouverte et que vous le désirez, poussez sur pause et allez vous balader à l’intérieur, ça vaut le détour. C’est le centre d’histoire économique et social de la région bruxelloise.”
La grille est ouverte, je pénètre dans l’enceinte de la fonderie. Je ne prendrais pas le temps de visiter le musée qui semble mériter à lui seul une demi-journée et mon séjour à Bruxelles est limité. Mais je me balade dans les larges espaces extérieurs de la fonderie, l’espace est en friche, on y trouve de vieilles machines en fonte qui semblent abandonnées là aux caprices de la nature, des entrepôts entiers sont envahis de verdure et ont perdu leur toiture. En plus du musée et d’un petit café, le lieu semble habité par une colonie de chats qui font le bonheur des enfants du quartier qui viennent les nourrir quotidiennement. J’apprends sur des panneaux d’information que je me trouve dans les anciennes usines de “la Compagnie des Bronzes”, et que le quartier était autrefois nommé : “le petit Manchester belge”. J’apprendrais la suite sur wikipédia, la fonderie fut ainsi en activité pendant un peu plus d’une centaine d’année de 1862 à 1977, et sont sorties de ces ateliers des sculptures de bronze monumentales qui se retrouvent maintenant à travers toute l’Europe.
Tour et crèche
Ici, le tissu des petites rues que j’ai précédemment traversées se délite dans un concert de bâtiment de différentes époques, certains en brique des années 50, des tours des années 70, d’autres immeubles en longueur des années 90 et des rues mal définies qui longent des placettes que l’on retrouve souvent au pied des immeubles de ces dimensions. Au pied d’une des tours une crèche, implantée sur un terrain vague servant autrefois de terrain de jeu aux enfants du quartier. Une opération réalisée par l’architecte Eric Willemart. C’est l’histoire d’un conflit avec les habitants, craignant un déséquilibre dans celui déjà très instable du quartier via la suppression d’un espace public. Finalement l’implantation de la crèche fut l’occasion d’un réaménagement sommaire de la petite place lui faisant face, contentant toutes les parties et les associations habitantes précédemment opposées au projet, qui ainsi se sont calmées. “Tout est bien qui finit bien” nous dit l’architecte de la crèche. L’ architecture de celle-ci est sobre et sans exubérance, difficile de s’implanter dans un paysage architectural si discordant par un geste architectural, le bâtiment est “un peu la résultante de ceux qui l’entourent”. Les architectes ont fait le choix de la simplicité, de la place on aperçoit surtout le porche d’entrée le long d’une façade vitrée, un porte à faux en pointe somme toute très discret. En retrait un bâtiment en bois surplombe la crèche, les teintes du bois s’accommodent bien des couleurs brunes des briques qui le jouxtent. C’est surtout la fermeture de l’ensemble de la pièce extérieure qu’est la place, que réalise cette petite crèche de quartier. Le lieu est désert, j’aperçois un homme qui traverse la petite place piétonne sous les arbres récemment plantés qui sont encore d’une taille ridicule face à la tour de seize étages qui les surplombe. Je prends une photo, puis continue mon trajet.
Porte de Ninove
Avant de retraverser le canal et de me rendre Porte de Ninove, je longe une opération qui paraît neuve et m’étonne de ne pas avoir de commentaire audio. L’hôtel Belvue devant lequel je passe est en effet une réalisation plus récente que l’audio-guide qui nécessite une mise à jour. L’opération ne m’apparaît pas non plus d’un grand intérêt à première vue, mais cela me fait réfléchir à la capacité de ce “détour” à témoigner d’un point fixe dans l’histoire de l’évolution d’un quartier. D’ici quelques années et après quelques nouvelles opérations la confrontation, entre un audio-guide un peu ancien ainsi que ses paroles habitantes avec la nouvelle réalité pourrait apparaître extrêmement pertinente pour témoigner de la réussite ou non de la revitalisation d’un quartier comme celui de Molenbeek. C’est aussi peut être une bonne occasion de mettre l’architecture actuelle à l’épreuve du temps, d’autant que les méthodes, la qualité des nouveaux matériaux et leur durabilité sont souvent encore peu connus. On remarque très vite la capacité de l’architecture récente à vieillir, celle-ci se rapproche de plus en plus des phénomènes du design ou de la mode et prend très souvent le pas sur la construction issue de long processus empirique. Même si ces effets de mode peuvent être féconds pour une discipline comme l’architecture qui cherche encore un moyen de se communiquer à tous, faire de l’architecture dites “contemporaines” (comme si l’on pouvait en faire autrement), c’est accepter de voir nos villes vieillir plus vite que jamais. A l’heure où l’on parle de développement durable, finalement ce détour architectural dans le Molenbeek est l’occasion de remettre en jeu énormément des questions qui traversent notre discipline. Cette scène architecturale belge, dite de tous les jours, c’est celle qui fait la ville des habitants de Bruxelles, bien loin du style international, froid et anonyme des institutions européennes que la ville accueille. C’est aussi une architecture qui s’attaque aux questions les plus complexes car de société, qui interroge une économie, des conflits identitaires, une politique et la capacité de l’architecte à créer du sens dans le quotidien sans forcément se faire remarquer. Bien loin des préoccupations sur la publication de tel ou tel projet, ici l’architecture n’est pas un bien touristique, cosmétique, mais un bien commun et ce sont de “petites” agences qui supportent le poids de cette responsabilité.
Je suis porte de Ninove, j’ai quitté le quartier de Molenbeek, le podcast est loin d’être fini, il ne me reste plus qu’une photo sur ma pellicule et ma balade qui ne devait durer qu’une heure et demie s’est considérablement allongée suite aux pressions répétées sur le bouton pause de mon mp3. Ma dernière photo sera sur une réhabilitation réalisée par l’agence Lhoas Lhoas, connu à Nantes pour avoir participé au concours de l’esbanm (beaux-arts) voisine de notre école. Un peu plus loin je ne trouve pas le nom de la rue indiquée dans mes oreilles et tourne au mauvaise endroit, ma curiosité m’a perdu. Je finis le parcours sans les images et fait travailler mon imagination, l’exercice apparaît tout aussi intéressant, pour essayer, il vous suffit juste d’écouter.