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LA VILLE DANS LES ECOUTEURS …

Ils sont trois – Valéry Lippens, Charlie Dupont, Vincent Herbert – à avoir mis sur pied D*tours, un concept de balades sonores synchronisées à travers une cité. But de la manoeuvre: créer un nouveau mode de divertissement en suscitant une vraie conscience de nos environnements urbains. Populaire et métissé, le quartier des Marolles à Bruxelles est le premier à recevoir les honneurs d’une telle démarche.

C’est dans la mythique Brasserie Verschueren face au parvis de Saint-Gilles que tout commence. “Dans ce décor typiquement Bruxellois à l’odeur de cigarettes roulées”, comme le dit la voix dans le casque audio emprunté au Centre Culturel Jacques Franck quelque 50 m plus haut. Après avoir avalé une bière bien fraîche – car on s’apprête à marcher une heure et demie – on embarque pour un D*tours, nouvelle sorte de découverte urbaine.

Quelque pas sur le parvis couplé a quelques phrases du narrateur et l’on pénètre dans une autre dimension. Le passé se superpose au présent. Les immeubles s’effacent et font place aux champs où autrefois se retrouvaient les coupeurs de choux des environs. Tout au long de la balade, ce sera le même régal didactique où se mêlent propos architecturaux, considération actuelles, témoignages d’habitants, informations historiques, musiques et extraits de film. On brassera plusieurs siècle d’urbanisation Bruxelloise, de l’occupation espagnole à la sauvagerie de la promotion immobiliére dans les années 1970. Le tout à la façon d’une madeleine de Proust grâce à laquelle on renoue avec ses racines, celles d’un quartier populaire que l’on croyait connaître.

Quelques temps forts ponctuent le trajet: la voix de Toots Thielemans expliquant son enfance dans la rue Haute, la traversée de la cité Hellemans qui plonge le promeneur dans un roman de Dickens, la charette du vendeur de caricoles de la place du Jeu de Balle… Bruxelles livre les secrets de son patrimoine.

Les trois concepteurs de D*tours ont réussi là une nouvelle approche de la ville qui devrait être imposée dans les écoles. Ce voyage à travers les rues procure à l’auditeur une perspective “de l’intérieur” qui permet de comprendre les évolutions d’un bâtiment, d’un quartier, d’une ville.

Inspiré du travail de Chris Hardman – un artiste musicien qui créa une visite sonore de la prison d’Alcatraz et qui est considéré comme le père de la “Walkmanology” le collectif à la base de D*tours n’a rien inventé de moins qu’une nouvelle forme de tourisme.

Pour élaborer un tel contenu, l’investissement est considérable. “C’est moins l’argent que du temps qu’on investit, précise Valéry Lippens. Après avoir élaboré le profil d’un quartier, on fait un véritable travail d’archéologie et d’ethnographie durant lequel on sonde les habitants d’un périmètre. Le procédé est le même que lorsqu’on réalise un documentaire. Il faut compter un mois et demi à plein temps pour faire exister la bande-son qui viendra se superposé a la réalité.”

Sous des dehors de simplicité – le promeneur n’utilise que la touche PLAY du lecteur de CD emporté – c’est toute une technologie de pointe qui l’accompagne. La captation et la reproduction sonore s’effectuent à partir du modèle binaural, soit un système qui se veut une réplique des facteurs physiques les plus significatifs permettant l’audition directionnelle chez l’humain. De cette façon, les sons sont enregistrés à l’aide de deux micros omnidirectionnels, compatibles avec la stéréo, pour un effet de réalisme urbain à 360 degrés. On est dans un son enveloppant et atmosphérique. Il n’en faut pas plus pour saisir la ville dans toute son épaisseur.

Si aujourd’hui on peut découvrir les Marolles selon ce procédé, ce n’est pas pour autant que les concepteurs se reposent sur leurs lauriers. Pour cet été, ils préparent une version semblable sur le quartier de la place Sainte-Catherine. L’automne verra, quant à lui, la sortie du D*tours de la Grand-Place. Au total, ce seront 80% du pentagone Bruxellois qui seront couverts. Suite logique des événements, le trio mise aussi un développement international du concept. On attend avec impatience…

Michel Verlinden